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John Albert Kelly

Né à Québec, 1938 - Décédé à Québec, 1971

Création

Fin années 1950 - 1971

Robe, John Albert Kelly, vers 1960-1970. Don de Louis-Philippe Bertrand, M2002.91.1.1 © Musée McCord

En une décennie, John A. Kelly connaît une carrière fulgurante. À la fin des années 1950, après trois années d’études en haute couture à l’École des métiers commerciaux de Montréal, il revient à Québec et installe son salon dans la côte Sainte-Marie, à l’angle de la rue Richelieu. À peine établi, il se met à la tâche immense d’un premier défilé.

Bien que la critique accueille très favorablement l’entrée en scène du couturier, il préfère poursuivre et parfaire sa formation en Europe. L’École de la Chambre Syndicale de la couture parisienne lui décerne un premier prix de création. L’école Guerre-Lavigne, qu’il choisit comme la meilleure école de patronnier, lui remet un diplôme avec mention. L’École de la chapellerie de Paris fait naître chez John A. Kelly une véritable passion qui lui vaut encore l’excellence. Il fréquente aussi l’École du Louvre où il s’approprie l’histoire du costume et des styles. Enfin, le très réputé Ealing Technical College of London fait de lui un maître tailleur dans la plus pure tradition anglaise. En Angleterre, il fréquente aussi un institut spécialisé qui lui permet de surmonter de façon définitive un problème de bégaiement gênant.

En 1962, l’homme qui s’établit au 996, rue De Salaberry à Québec est riche d’un art de faire et de vivre qui ne demandent qu’à s’exprimer. Sur la porte, une plaque gravée mentionne : « Création John A. Kelly. Spécialité robe de mariée. Haute couture ».

L’immeuble loge le salon, l’atelier de confection, et l’école de mode John A. Kelly où sont offerts des cours de haute couture (coupe, moulage et confection) et de « charme ».

Les défilés présentés au Salon, dans un décor victorien somptueux, attirent une clientèle de choix. Toute la haute société, de Montréal à Percé, se targue d’obtenir les conseils avisés de John A. Kelly et surtout de porter sa griffe. Très vite, on le compare aux grands maîtres de la haute couture parisienne. Il devient le couturier des épouses des politiciens et de leur entourage.

Dans les années 1960, chaque ouverture de session parlementaire donne lieu à une grande réception. À cette occasion, les épouses des premiers ministres Johnson, Bertrand ou Lesage, portent fièrement une robe du soir signée John A. Kelly.

L’art de John A. Kelly réside précisément dans la création de vêtements personnalisés, vêtements-miroirs pour lesquels la cliente est la source même d’inspiration, véritable muse de sa propre image.

Le couturier traduit cette personnalisation surtout dans le choix d’un tissu, d’une couleur, d’une texture ou d’un imprimé. Il suggère encore, selon les circonstances, la coiffure, le maquillage, les accessoires : bas, chaussures, sac à main, bijoux.

Robe, John Albert Kelly, vers 1960-1970. Don de Louis-Philippe Bertrand, M2002.91.1.1 © Musée McCord

À la manière des grandes maisons françaises, John A. Kelly travaille à la toile : le vêtement est coupé dans une toile de « coton jaune » et ajusté sur un mannequin aux mensurations de la cliente. Un premier essayage permet de préciser les ajustements et de procéder à la coupe dans le tissu choisi. On effectue ensuite le montage du vêtement sans toutefois compléter les coutures. Un deuxième essayage permet d’apporter les derniers correctifs avant l’essayage final. À l’occasion, quelques détails sont encore modifiés pour parvenir à un ajustement parfait. La confection est réalisée à l’atelier où deux ouvrières s’affairent sous les directives de John A. Kelly. À partir de 1969, le couturier s’adjoint le talent de Jean-Claude Béland, qui l’assiste et prend en charge les étapes de modelage, ainsi que l’enseignement.

Le salon John A. Kelly reçoit une clientèle assidue. Les « habituées » laissent en consigne leurs mensurations car l’époque exige une garde-robe variée. Les usages prescrivent en effet une toilette pour chaque moment. Une femme peut avoir l’occasion de changer de vêtements jusqu’à six fois dans la journée. La tenue de l’après-midi diffère de celles du matin et de fin d’après-midi; il faut encore une robe pour le cocktail, que l’on change pour le souper, puis une robe du soir. Pour John A. Kelly, un imprimé audacieux exécuté dans une coupe classique devient un parfait équilibre pour le début de la journée. Pour l’après-midi et le voyage, un lainage de bonne texture uniforme, coupé à l’excentrique, complète délicatement la personnalité de la cliente. Pour le soir, il suggère les fantaisies les plus capricieuses mais toujours de bon goût.

Par ailleurs, le temps n’est pas encore à la multiplication des styles et des formes éclatées. Le début des années 1960 est caractérisé par une ligne vestimentaire de laquelle on ne déroge que très peu. L’originalité du couturier s’exprime par une vision sensible et personnelle de la femme et de son apparence où la simplicité demeure la grande caractéristique.

Pour John A. Kelly, un vêtement sobre peut être original et présenter une excentricité discrète sans être banal et insignifiant.

Mais la sobriété des créations John A. Kelly n’empêche pas une créativité remarquable par l’agencement des coloris, un détail de coupe original, novateur, une façon de diriger les pinces pour donner du mouvement au vêtement. Elle n’écarte pas non plus à l’occasion une touche d’audace et de fantaisie. Aussi, des chapeaux fabuleux, excentriques, immenses parfois, ajoutent-ils une note gaie et contribuent à la renommée de la griffe.

Avec le tournant des années 1960, un vent de modernisation souffle sur la société québécoise. Le monde en mutation modifie ses usages. Les traditions parlementaires suivent le courant et les grandes soirées d’ouverture des sessions sont abolies. Dans le monde de la mode, le prêt-à-porter bouscule les manières de faire et John A. Kelly n’est pas fait pour l’industrie qui le courtise. Son tempérament d’artiste le place à contre-courant de la production en série. Sa passion est celle de la création unique, de l’œuvre d’art.

Le 16 septembre 1971, le sort met fin abruptement à la carrière de John A. Kelly. Il meurt assassiné dans sa maison, rue de Bernière à Québec. Il laisse le souvenir d’un homme passionné, amoureux de son art et d’une sensibilité peu commune à l’harmonie et à la beauté. Dans l’histoire de la mode québécoise, sa griffe laisse une empreinte indélébile.

Date de publication

01/10/2004

Rédaction

Valérie Laforge, Dicomode

Dernière révision le
01/02/2019 Suggérer une modification

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